Dans une récente interview, Thierry Bernet, ancien vice-président Economie circulaire & Innovation chez Berry Global, entreprise spécialisée dans les emballages plastiques, nous témoigne des défis et opportunités liées à l’adoption de modèles économiques circulaires au sein de la filière.
1. Qu’est-ce qui motive généralement les entreprises industrielles à lancer des initiatives circulaires ?
Le sujet démarre souvent de demandes explicites des clients.
Dans le domaine de l’emballage, on parle notamment d’objectifs ambitieux sur la recyclabilité des emballages, le taux de matières recyclées, les produits et la réduction des émissions de gaz à effet de serre…
Assez rapidement, ces demandent doivent entraîner un changement profond dans les pratiques historiques de l’entreprise, et impliquent de réfléchir à long terme en favorisant un ancrage des bonnes pratiques tant la problématique touche l’ensemble des acteurs internes et de la chaine de valeur.
Il faut dès lors mettre en place des indicateurs pour suivre les plans d’action, sensibiliser, former et déployer un système de relais internes pour toucher rapidement et animer quotidiennement un collectif le plus large possible (salariés, fournisseurs…).
L’objectif ? Intégrer les enjeux de l’économie circulaire dans les activités et objectifs opérationnels.
Systématiquement, on retrouve cinq principes clés :
- Réduire ce dont nous avons besoin ;
- Réduire ce que nous consommons ;
- Réutiliser les ressources ;
- Recycler ce qui ne peut être ni refusé, réduit, ou réutilisé ;
- Régénérer les ressources naturelles.
Cela implique de réaliser des Analyses de Cycle de vie de manière systématique et dès la conception des produits. Ces analyses conduisent à une réelle recyclabilité des produits, un allègement important et l’intégration de matières recyclées.
2. Quelles sont les difficultés liées à l’adoption des changements nécessaires ?
La première difficulté est liée aux indicateurs de performance de la filière : les tonnes de matière vendues, incompatibles avec les principes d’économie circulaire qui visent à réduire l’utilisation de matière.
Passer l’économie circulaire à l’échelle implique de fait de modifier la manière de valoriser la création de valeur. Ce parcours vers l’économie circulaire n’est donc pas seulement une question d’innovation technique, de bonne volonté des dirigeants ou encore de conception de produit. C’est aussi et surtout un changement culturel profond de toute la profession dans sa manière de considérer le modèle de création de valeur.
A date, force est de constater que le modèle historique prévaut encore largement. Les alternatives qui viseraient à tendre vers des modèles de rémunération basés sur le taux d’utilisation de la matière (économie de la fonctionnalité, consignation, reverse logistic & réemploi…) sont marginaux. En l’absence de réglementations contraignantes, la filière peine à se transformer, même si les consciences évoluent.
3. Comment évaluer l’impact environnemental des emballages ?
De plus en plus d’entreprises de la filière se fixent des objectifs de réduction des émissions de GES, même quand c’est de façon très globale. Or, sans une connaissance précise des émissions et des inducteurs, les actions sont vaines. C’est la première étape et elle provoque généralement d’importantes difficultés, dès l’étape de la collecte des données concernant les émissions de GES chez les fournisseurs de matières premières.
Ces difficultés, évidemment, augmentent avec la taille de l’entreprise concernée et surtout son éclatement géographique – sans parler des ressources limitées que les entreprises concernent parfois à ces projets.
Malgré ces difficultés, deux outils au moins me semblent indispensables :
- Un outil d’analyse du cycle de vie permettant de calculer entre autres paramètres, la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’un produit ;
- Un outil pour évaluer la recyclabilité des emballages.
Combinés, ils permettent d’évaluer les gammes de produits existantes ainsi que ceux en développement.
4. Les relations fournisseurs ne sont-elles pas largement touchées par ce nouveau modèle ?
Je l’ai dit, il faut dès le départ surmonter plusieurs défis liés à l’accès aux informations des fournisseurs. Cela impliqué de réévaluer la nature de ces relations et impliquer deux fonctions clés dans cette transition : les Achats et le Marketing.
Aujourd’hui, les décisions d’achat sont souvent influencées par des critères de prix, ce qui complique l’intégration de critères de durabilité. C’est pourquoi, il est essentiel d’impliquer le service des Achats dans les réflexions autour du nouveau modèle.
Pour ce faire, il est indispensable que le Marketing influence les choix de recherche et développement. En effet, pour impacter l’attractivité des produits au catalogue, il faut une collaboration étroite entre ces deux fonctions. Il est donc crucial que les équipes du marketing (stratégique, promotionnel et produit) participent au processus de décision afin d’intégrer les préoccupations environnementales dès la conception des produits. Cette transition peut nécessiter des ajustements, notamment dans les techniques de décoration des emballages.
5. Et en interne, comment les initiatives circulaires peuvent-elles affecter l’organisation ?
Le thème étant transverse, de nombreux domaines clés sont touchés par la transition vers des pratiques circulaires. Le département de Recherche et Développement (R&D) est au centre de ce changement, car il doit trouver des solutions pour concevoir des emballages plus respectueux de l’environnement. Les équipes procurement et commerciales sont également essentielles pour convaincre et accompagner l’écosystème de fournisseurs et les clients dans l’adoption des pratiques de l’économie circulaire.
Le modèle de décision est également fortement impacté. Le modèle doit infuser dans toute la chaine décisionnelle, pour tous les décideurs. On doit les aider à changer leur structure de pensée, leurs modèles de prise de décisions et de rémunération des équipes managériales. Certaines entreprises ont déjà avancé dans ce sens, en intégrant des critères environnementaux dans leur système de rémunération des équipes managériales. Néanmoins, il faut encore maintenir un effort important pour que ces pratiques se diffusent plus largement.
6. Quelles autres pistes pour continuer le chemin vers plus de circularité ?
On pourrait faire une liste. Il existe beaucoup d’initiatives intéressantes pour intégrer les principes de l’économie circulaire dans les activités, comme de la location d’emballages et des services liés au cycle de vie des produits comme la maintenance. Je pense qu’il est important de tenter des expériences, même si cela peut être frustrant car des essais réussis ne sont parfois pas généralisés. Néanmoins, ces initiatives, même isolées, amènent des résultats positifs, motivent et créent une dynamique de groupe très intéressante.
A terme cependant, elles ne suffisent pas pour répondre aux défis actuels. Il est fondamental d’adopter une approche plus holistique en évaluant tous les produits sur l’ensemble de leur cycle de vie, pour atteindre les objectifs de réduction de l’impact environnemental global des activités.
Conclusion : réflexions sur la transition vers la durabilité et l’économie circulaire
L’une des clés est d’intégrer tous ces changements le plus tôt possible. Ces initiatives demandent des investissements importants et du temps long.
La réticence à démarrer des projets d’ampleur tient beaucoup au fait que l’économie circulaire est encore perçue comme une spécialité et un sujet connexe plutôt qu’une priorité stratégique transversant toute la chaîne décisionnelle. Il faut transformer cette perception. Tant que ces pratiques resteront en marge du « business as usual », il ne sera pas possible d’avancer à la vitesse requise pour répondre aux défis environnementaux actuels.
La lutte contre le changement climatique nécessite une transformation à grande échelle, avec un changement de mentalité et d’action à tous les niveaux de la société. Malgré les progrès réalisés dans l’adoption de modèles économiques circulaires, la route est encore longue !
Thierry BERNET
Ancien vice-président Economie circulaire & Innovation de Berry Global