Alors que le secteur Aéronautique doit se renouveler pour répondre au défi climatique, avec en ligne de mire l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050, de nombreuses start-ups émergent, principalement aux Etats-Unis et en Europe, pour tenter d’apporter des réponses à ce challenge.
Une révolution en marche pour le transport aérien
La plupart de ces start-ups ont des feuilles de route ambitieuses, et un leitmotiv : concevoir et produire des aéronefs à faible émission de carbone. Il s’agit d’un objectif de taille tant les défis sont nombreux à la fois techniquement que d’un point de vue organisationnel ou encore par rapport à l’industrialisation et la certification de l’aéronef à concevoir.
Deux briques technologiques majeures ouvrent, dans un horizon de 15 à 20 ans, des perspectives certaines de décarbonation pour le secteur :
- L’électrique, dont la maturité industrielle a été tirée par le secteur automobile, doit désormais se décliner et s’adapter aux spécificités du monde aérien. Une ambition portée par des start-up telles que Voltaero, Volocopter, Ampaire ou encore Ascendance Flight Technologies et Aura Aero qui misent sur des architectures propulsives hybrides
- Le dihydrogène fait également l’objet de nombreuses études et prototypes afin d’entrer en jeu d’ici une quinzaine d’années pour l’aviation commerciale. Citons notamment Beyond Aero, Blue Spirit Aero, H3 dynamics, acteurs de l’aviation légère
Les acteurs majeurs de l’aviation commerciale surveillent de près ces avancées pour assurer leur veille technologique et rester au fait des dernières tendances. C’est par exemple le cas du constructeur européen Airbus, avec sa filière Airbus Développement, qui a soutenu plus de 1500 entreprises, dont des start-ups, dans les régions où il est présent. Parmi elles, Blue Spirit Aero, qui travaille sur un aéronef de 4 places, fonctionnant à 100% au dihydrogène, a été récompensée l’année dernière par Airbus Développement. Son concurrent américain offre un accompagnement similaire via le programme « Start-up Boeing ».
Toutes ces transformations de conception doivent évidemment prendre en compte les contraintes avales, telles que les infrastructures qui permettront d’opérer ces aéronefs au quotidien. Le secteur Aéronautique fait face à une disruption en termes d’usage, comme avec les VTOL (Vertical Take-off and Landing), mais aussi en termes de technologies, avec l’introduction de nouveaux carburants tels que les SAF (Sustainable Aviation Fuels), la propulsion électrique et hydrogène. Ces dimensions diverses nécessitent une évolution globale de l’écosystème pour répondre aux besoins de ces nouveaux appareils.
Les VTOL ont par exemple besoin de surfaces d’atterrissage spécifiques et nombreuses pour remplir leur promesse de flexibilité. L’utilisation d’aéronefs électriques nécessite quant à elle des bornes de recharge en quantité suffisante, dispersées sur l’ensemble du territoire. Des projets d’installation de stations de recharge sont en cours sur certains aérodromes d’Île-de-France, mais cela reste encore marginal. Enfin, concernant l’hydrogène, le passage à l’échelle commerciale dépendra fortement de la capacité à produire de l’hydrogène décarboné, alimenté par un parc éolien ou nucléaire. A terme, il est vital de mettre en place un système vertueux dans sa globalité où les deux extrémités de l’écosystème, les start-ups et les gérants d’infrastructures, évoluent ensemble, créant ainsi des conditions favorables pour permettre l’essor tant attendu des aéronefs de demain.
Des défis opérationnels et industriels particulièrement complexes à relever
Dans cette ambition, les start-ups et leurs équipes font face à des contraintes souvent empreintes de complexité. Qu’il s’agisse d’aspects techniques, opérationnels ou administratifs, faisons un tour d’horizon des grands défis qui se dressent sur leur chemin.
La capacité à accéder à des financements privés et publics
Les start-ups du secteur aéronautique doivent souvent lever des fonds importants pour financer la recherche et le développement, les tests et la certification. Du côté public, de nombreux états soutiennent leurs industriels. C’est le cas pour la France, où l’Etat s’implique notamment à travers le programme France 2030 qui apportera 1,2 milliard d’euros pour le volet Aéronautique, dont un tiers pour les acteurs émergents du secteur. Le plan a pour objectif de soutenir la filière dans son ensemble, aussi bien sur l’innovation que sur l’industrialisation.
Ces aides financières sont plus que jamais bienvenues, toutefois, les besoins sont bien supérieurs lorsqu’il s’agit d’entrer en phase d’industrialisation, et les levées de fonds privés, sensibles aux risques élevés associés à la fabrication, sont plus difficiles à réaliser, surtout auprès d’investisseurs français. Les financements publics, quant à eux, nécessitent souvent de répondre à des cahiers des charges stricts et de savoir naviguer dans des processus administratifs complexes.
La conception, pour obtenir l’agrément de Conception
Les challenges techniques sont colossaux pour faire voler des concepts et des architectures disruptives : open rotor, hybridation, intégration de l’hydrogène dans la chaine propulsive, refroidissement de la pile hydrogène, etc… sans compter qu’ils doivent répondre à des normes de sécurité et de performance strictes. Ces concepts d’avions s’appuient sur briques technologiques qui sont elles-mêmes en cours de maturation, et il est donc nécessaire de développer en parallèle les moyens de tests rigoureux qui permettront de qualifier et valider ces avancées. C’est un processus souvent coûteux et chronophage, qui implique des itérations multiples.
La certification, pour autoriser les premiers vols
Les start-ups aéronautiques ambitionnent de révolutionner le transport aérien avec des passagers embarqués. Elles doivent donc se conformer aux standards de certification (EASA, FAA…) et répondre aux exigences de fiabilité et de sécurité particulièrement rigoureuses. Essais en vol, inspections, audits par les autorités de l’aviation civile constituent autant de jalons clés qui peuvent générer des retards ou des surcoûts, et par conséquent mettre à mal leur capital financier ou humain. Face à cet enjeu, les start-ups procèdent souvent par étapes en visant à certifier leurs prototypes et premiers véhicules sur des normes telles que la CS-23, plus adaptée à l’aviation légère et régionale, avant d’atteindre des standards d’aviation commerciale. La CS-23 a évolué en 2020 pour redynamiser l’aviation légère certifiée avec l’amendement 5, et permet désormais aux constructeurs de proposer des moyens de démonstration de conformité de manière pro active, réduisant potentiellement les coûts de certification, qui nécessitait jusqu’alors de pousser les prototypes au point de rupture lors des essais.
L’industrialisation, pour obtenir l’agrément de production
Le sujet de l’industrialisation est fondamental, car il touche aux capacités de fabrication (e.g. création d’usines, des lignes d’assemblage, des entrepôts, des outillages…). L’agrément de production implique également des audits réguliers et des contrôles de qualité stricts, ce qui peut être un défi pour les structures limitées en ressources. Dans un second temps, il faudra savoir se donner la capacité d’augmenter les cadences de production pour satisfaire les commandes des premiers clients. Cela nécessite une sécurisation de la chaîne d’approvisionnement des fournisseurs, pour passer à l’échelle et livrer des avions en série tout en conservant une parfaite maitrise de la qualité et la sécurité pour les utilisateurs finaux.
L’organisation, pour conserver l’agilité du mode start-up
Le passage du mode « garage » au mode industriel doit conserver la flexibilité originelle tout en s’assurant de robustifier les process, les méthodes et les outils pour faire face aux demandes d’évolutivité du marché. Ces transformations à venir ne doivent pas non plus bouleverser les motivations originelles. Il s’agit donc de conserver les valeurs du démarrage et de grandir sans perdre son âme. La route est longue depuis la création de la start-up jusqu’à la mise sur le marché d’un appareil certifié. Ces start-ups, souvent nées autour de leaders charismatiques, doivent assurer la transmission des valeurs, la passion et la vision des débuts, aux nouveaux embauchés.
Les ressources humaines, pour éviter les déficits de compétences
Plusieurs start-ups rencontrent des difficultés à recruter les bons profils, les retenir et capitaliser la connaissance pour pérenniser le savoir dans les équipes. Les profils nécessaires sont très diversifiés depuis la R&T jusqu’à la production. Certaines start-ups se retrouvent en pénurie de profils, du fait de leur implantation géographique, et doivent explorer au-delà du bassin d’emploi local. La tentation est également grande de recruter des profils expérimentés issus d’industriels historiques et qui apportent des compétences essentielles. Néanmoins ces ressources peuvent également apporter des méthodes de travail des grands groupes, et faire perdre en agilité s’ils ne remettent pas en question leur habitudes de travail pour s’adapter aux petites structures.
Face à un enjeu environnemental qui s’impose à toute une industrie, les start-ups du secteur aéronautique ont un rôle clé à jouer. Si les ambitions sont bien à la hauteur du challenge, ces entreprises doivent parvenir à relever les différents défis opérationnels et industriels qui s’imposent à elles. Pour les aider dans cet effort, des méthodes concrètes, qui ont déjà prouvé leur efficacité, existent. Dans un article à paraître prochainement, nous reviendrons plus en détail sur les réponses qui peuvent les aider à maîtriser la complexité et à transformer leur pari en succès industriel.