Matthieu Mailly et David Potier : Défis et opportunités de l’Économie Circulaire dans le secteur du manufacturier [interview]
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Matthieu Mailly et David Potier : Défis et opportunités de l’Économie Circulaire dans le secteur du manufacturier [interview]

Aujourd’hui, nous nous retrouvons pour une nouvelle interview avec deux collaborateurs de Schneider Electric, entreprise qui fournit des équipements électriques basse et moyenne tensions et des automatismes industriels. Matthieu MAILLY, responsable de la transformation globale de l’économie circulaire et David POTIER, responsable de la Sustainability (« Développement durable » en français) au sein de la Global Supply Chain Europe, travaillent ensemble sur le programme dédié à l’économie circulaire. Ils nous partagent dans cette interview un aperçu de leurs activités circulaires ancrées depuis plus de 20 ans au sein de l’entreprise ainsi que les nouveaux enjeux associés.

 

1. Quelle est la position de Schneider Electric vis-à-vis de l’économie circulaire ?

La démarche de circularité est présente depuis une vingtaine d’années chez Schneider Electric. Nous avions à l’époque initié un programme en réponse aux besoins exprimés par un client. Il s’agissait de lui donner accès à des pièces de rechange de façon à ce qu’il puisse réparer ses différents produits industriels. Le terme d’économie circulaire n’était alors pas encore consacré, mais dans les faits, il s’agissait déjà bien de cela. Aujourd’hui, cette offre est plus que jamais d’actualité et a même été étendue avec la création d’un service dédié à la réparation.

Depuis, nous avons structuré notre façon de faire en intégrant une approche circulaire à toutes les étapes de la vie de nos produits.

2. Comment cela se traduit-il opérationnellement tout au long du cycle de vie des produits Schneider Electric ?

On ne parle pas d’une économie de recyclage mais bien d’une économie de matières et de ressources. Sur nos produits, cela se traduit par plusieurs leviers qui sont activés successivement au fil de leur vie :

  1. L’éco-conception ; afin de concevoir des produits avec moins de matière et en utilisant des matériaux issus de sources respectueuses de l’environnement. La fabrication de ces produits éco-conçus demande également moins d’énergie et leur impact environnemental est diminué tout au long de leur cycle de vie. L’éco-conception est la pierre angulaire de l’économie circulaire pour tous les nouveaux produits à venir
  2. Le maintien en conditions opérationnelles ;
  3. La réutilisation, à travers :
    • Le « Repacked » (« reconditionnement »), qui consiste à récupérer les produits jamais utilisés, les vérifier et les remettre sur le marché ;
    • Le « Refurbished » (« réemploi »), qui consiste à récupérer des produits déjà utilisés par les clients pour ensuite les réinjecter dans nos usines, les réparer et les remettre sur le marché.
  4. Le recyclage, enfin, ne doit intervenir qu’en dernier recours.

Depuis 2023, une ligne d’activité est dédiée à l’économie circulaire chez Schneider Electric. Nous avons même lancé nos propres labels pour renforcer cette démarche comme « Checked & Repacked by Schneider Electric » pour le reconditionnement et « Refurbished by Schneider Electric » pour le réemploi. L’investissement de l’entreprise dans l’économie circulaire est très important et mobilise aujourd’hui une centaine de personnes : nous passons d’une période d’innovation à une véritable transition opérationnelle du futur !

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3. Comment sélectionner les produits concernés par l’économie circulaire et déterminer les « bons combats » dans une gamme aussi diversifiée que la vôtre de produits et composants ?

Dans le cadre de l’éco-conception, tous nos produits sont concernés par l’identification des matériaux utilisés et les indices de réparabilité internes (pourtant non obligatoires dans notre industrie). Nos centres R&D dans le monde sont challengés sur l’ensemble de nos nouveaux produits. Le potentiel de récupération (ou « take back ») de produits au sein des offres de refurbished est aussi un critère de sélection des produits concernés.

La connaissance de nos designs, des cycles de vie et des potentiels de récupération de nos produits permettent ainsi d’identifier les gammes pertinentes. Pour déterminer les « bons combats », il faut identifier de manière très pragmatique le potentiel de la matière disponible.

4. Quels sont les critères définissant un “bon” produit éco-conçu ? Comment les ambitions d’éco-conception influencent-elles l’innovation et les surcoûts éventuels ?

Un produit est qualifié comme « bien » éco-conçu lorsqu’il répond à 5 critères :

  • S’il possède uniquement des pièces recyclables ;
  • S’il possède des fonctions d’efficacité énergétique par rapport au produit équivalent sur le marché ;
  • S’il ne contient pas de substance dangereuse ;
  • S’il possède un bon critère de réparabilité ;
  • S’il possède des fonctions de connectivité qui permettent d’envoyer des alertes de maintenance prédictive.
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La révolution apportée par l’éco-conception, c’est de penser chaque produit comme un ensemble de fonctions. Chaque fonction est une brique mécanique qui peut être déconnectée des autres et qui doit être facilement détectable, réparable et interchangeable.  Cela pose de vrais défis de connexions entre ces différentes fonctions. L’objectif serait de pousser cette technologie jusqu’au client pour lui permettre, à terme, de devenir autonome dans la réparation de ses produits.

L’économie circulaire repose sur la fusion des mondes du produit et du service. Les surcoûts engendrés par un produit modulaire pourront être ainsi compensés par la vente du service, post-achat. Bien sûr, il faut aussi intégrer le niveau d’acceptabilité du marché, la rentabilité globale et le bon sens pour que l’empreinte environnementale globale de la réparation d’un produit ne soit pas supérieure à celle créée par son remplacement par du neuf.

 

5. Quelle est votre stratégie vis-à-vis du recyclage, évoqué plus tôt comme un dernier recours ?

Le recyclage relève de deux principaux enjeux :

  • L’approvisionnement en matières issues du recyclage auprès de nos partenaires ;
  • Le recyclage des déchets de nos sites : le label du programme « Waste-to-ressource » (« De déchet à ressource ») incite tous nos sites à recycler au moins 99% de leurs déchets pour les transformer en nouvelles ressources.

Nous nous intéressons plutôt au lien entre la circularité et la résilience pour travailler sur les matières les plus critiques. La résilience va au-delà du recyclage, puisqu’elle permet de rester propriétaire de certaines matières stratégiques et de garantir leur traçabilité. Il y a un réel enjeu à rester propriétaire de nos déchets de production relatifs aux matières sensibles et critiques. Nous cherchons donc à adopter un modèle circulaire et résilient, qui n’est pas basé uniquement sur le recyclage.

 

6. Et comment parvenez-vous à assurer la gestion des données liées au suivi du cycle de vie des produits ?

La gestion des données liées à l’économie circulaire est un véritable enjeu. Aujourd’hui, un produit peut traverser plusieurs états au cours de son cycle de vie (endommagé, réutilisé mais fonctionnel, réparé, refabriqué…), avec une traçabilité plus ou moins importante. Cela exige une structure solide, pour un marché qui reste néanmoins un marché encore de niche. Il faut rester convaincus et mobilisés pour atteindre des résultats. Les compétences sont bien présentes, mais il faut arriver à faire changer les mentalités afin qu’elles soient employées autrement et permettent de raisonner différemment.

Nous avons bien progressé ces deux dernières années sur la transformation IT et data, mais il a fallu y investir beaucoup de temps et de moyens. Pour les industriels qui se lancent, ce n’est pas un sujet à minimiser sur l’investissement global !

 

7. Comment les équipes commerciales et les clients perçoivent-ils les produits issus de l’économie circulaire ?

Nos clients sont très sensibles à la question et la question est elle-même très sensible ! D’abord, nous avons mis en place des équipes dédiées à la commercialisation de nos offres d’économie circulaire, qui vont former les commerciaux sur le terrain. L’objectif est qu’ils puissent expliquer nos offres et les nouvelles pratiques que nous avons développées.

On peut ensuite dire qu’un réel besoin a émergé sur ces sujets. A titre d’exemple, le marché français de la construction est hyperactif sur ces sujets d’économie circulaire. Certains de nos clients de ce domaine nous partagent leurs prévisions et leurs feuilles de route sur l’économie circulaire.

La pandémie de COVID19 a joué un rôle pivot dans le développement du marché circulaire. À partir de 2020, les ruptures d’approvisionnement de produits ont rendu ce genre d’initiatives incontournables. C’est finalement la satisfaction des clients vis-à-vis de ces produits circulaires qui a fait que ces pratiques ont pu perdurer et s’étendre.

8. Finalement, quels sont les obstacles qui peuvent venir aujourd’hui freiner l’engagement de votre entreprise dans l’économie circulaire ?

Tout d’abord, les cadres normatif et législatif (normes, ISO, étiquettes) sont pour l’instant limités. Il faudrait au contraire un cadre fort, pour structurer les entreprises dans ce domaine. Même en matière de vocabulaire, les définitions de chaque terme ne sont pas encore correctement définies ou couvrantes.

La conduite d’un changement d’état d’esprit auprès de nos clients et nos partenaires constitue un deuxième frein. Ce changement, aussi bien en interne sur tous les niveaux de l’organisation, qu’en externe, est primordial pour aligner toutes les parties prenantes autour de ces nouvelles pratiques. Ce qui nous permettra d’accélérer c’est aussi de faire évoluer nos clients, de montrer que les produits issus de l’économie circulaire ont une valeur forte, qu’il ne s’agit pas de gestion des déchets mais de gestion des ressources.

C’est une transformation globale qui nécessite des investissements y compris en temps et en compétences. Il faut réinventer nos modèles, l’ensemble du cycle de vie des produits, les habitudes de nos clients, l’expérience digitale ou encore notre fiscalité. C’est pour cela qu’il est important que ce changement soit insufflé par des entités de poids, comme le COMEX (Comité Exécutif), étant donné que cette transformation implique de nouveaux modèles économiques, de nombreux investissements, sans retour sur investissement immédiat.

Enfin, une des limites de l’économie circulaire réside dans la concurrence avec l’économie de la gestion des déchets. L’existence de marchés parallèles de gestion des déchets constitue de réels freins au « take back ». En effet, les filières de gestion des déchets n’ont pas d’intérêt à l’allongement de la durée de vie des produits et à l’optimisation de la gestion des ressources, qui les privent directement de leur source de revenu.

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9. Un petit mot de conclusion : de quoi avez-vous le plus besoin aujourd’hui pour augmenter votre potentiel de circularité ?

Nous manquons de cadres législatif et normatif facilitants. Il faut que tout le monde soit aligné sur des normes et législations claires et utilise le même langage. Le grand défi des fabricants est d’appliquer l’économie circulaire à haut niveau et de manière certifiée.

Le potentiel de récupération de produits, quelle que soit l’étape de leur cycle de vie est encore limité. L’objectif ultime serait que le terme « déchet » à proprement parler n’existe tout simplement plus. Même en fin de vie, tous les produits ou composants doivent redevenir des ressources, rendant ainsi l’économie circulaire bel et bien … circulaire !

Mailly

Matthieu MAILLY

Responsable de la transformation globale de l’économie circulaire chez Schneider Electric

Potier

David POTIER

Responsable de la Sustainability au sein de la Global Supply Chain Europe chez Schneider Electric

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