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Robert Heidsieck : Défis et opportunités de l’Économie Circulaire dans le secteur de la santé [interview]

Nous avons eu la chance d’échanger avec Robert Heidsieck, Directeur de l’économie circulaire chez GE HealthCare. Ensemble, nous avons partagé les nouveaux défis et opportunités liés au développement de ces pratiques dans le secteur de la santé. On vous dit tout !

 

1. Quelle est la position de GE HealthCare vis-à-vis de l’économie circulaire ?

La notion d’économie circulaire n’est pas nouvelle au sein de GE HealthCare. De fait, les équipements médicaux sont des actifs critiques, conçus pour être fiables et entretenus sur le long terme. L’entreprise met en avant des pratiques visant à améliorer la durabilité, la maintenabilité et l’extension de vie des produits, dans un modèle circulaire de mise à jour, réutilisation, réparation, remise à neuf et recyclage.

Pour cela GE HealthCare a développé une chaîne d’approvisionnement efficace, utilise des capacités de diagnostic à distance, une maintenance intelligente et des programmes d’extension de produits. Elle assure également la traçabilité de ses équipements, ce qui permet de racheter ses systèmes en fin de cycle, de les remettre à niveau pour de nouveaux clients ou de récupérer des pièces pour la maintenance d’équipements en fin de vie. L’économie circulaire fait partie de l’ADN de l’entreprise.

Voici quelques exemples qui illustrent l’importance de ces éléments dans le développement de nos gammes de produits. En ce qui concerne la durabilité, nous notons qu’un quart des systèmes d’imagerie sont installés depuis plus de 15 ans. La maintenance d’environ 100,000 systèmes est assurée grâce à des pièces réparées ou de réemploi chaque année. La fabrication des tubes radiologiques réutilise en boucle de circularité fermée plus de 100 tonnes de matériel de réemploi.

Parmi nos programmes de mise à niveau d’équipements pour une extension de vie, nous avons réalisé en 2023, 338 upgrades complets d’IRM, programme en forte croissance depuis. Nous rachetons ~7000 systèmes et recyclons 4,450 tonnes de matériau par an.

Toutes ces initiatives sont bénéfiques pour l’environnement. Cependant pour garantir l’accès à la santé pour tous tout en réduisant son impact environnemental, il est nécessaire d’aller bien au -delà. Cela devient à la fois une exigence réglementaire et une attente croissante de nos clients.

Un déclic s’est produit il y a 3 ans, lorsque certains clients européens ont intégré des exigences vis-à-vis de critères environnementaux dans leurs demandes et appels d’offres.

 

Nous avons alors dû relever 2 principaux défis :

  • Le premier a été de mesurer notre impact environnemental et d’en tirer des leviers pertinents. Il a fallu changer nos habitudes et mettre en place des moyens pour collecter les informations associées aux aspects environnementaux ;
  • Le deuxième, de communiquer ces informations au reste de l’entreprise et d’accompagner le changement pour effacer les a priori et les idées reçues.

Pour répondre à ces défis, GE HealthCare a développé plusieurs initiatives à travers l’ensemble de l’entreprise. Une de ces initiatives est la création d’une direction pour l’éco-circularité des produits à travers leur cycle de vie dont je suis le directeur.

J’ai eu la chance lors de ma carrière au sein de GE HealthCare de contribuer à divers domaines de l’économie circulaire, de la recherche, la conception, la supply chain des équipements et du service après-vente, aux activités opérationnelles de gestion du cycle de vie des produits (réparation, réemploi, remise à niveau et programmes d’extension des durées de vie des produits). C’est un atout pour exercer mon rôle.

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Source: GE HealthCare LifeCycle Solutions Circular Economy

2. Concrètement, quel est le rôle de votre équipe ?

La complexité de nos lignes de produits et de nos chaînes d’approvisionnement, la richesse des gisements liées à la taille de notre base installée de produits, sont telles qu’il est difficile d’assurer un usage optimal des opportunités d’éco-circularité.

Notre rôle est de montrer comment l’économie circulaire peut accélérer la décarbonation de santé et de nos produits à travers l’innovation, la collaboration et des études de cas concrets avec des experts métiers. Nous pouvons être considérés comme un centre d’expérimentation et d’innovation interne à l’entreprise, un laboratoire pour accélérer les opportunités de circularité de nos produits à travers des cas d’usages concrets … Nous apprenons en faisant.  Nous apportons expertises et méthodologies aux équipes opérationnelles, elles-mêmes expertes dans leurs propres domaines. Nous les aidons à changer leurs pratiques, à travers des analyses de données (Analyses du Cycle de Vie (ACV), analyses de pannes et de défaillances, etc.) dans ces situations concrètes et souvent critiques. L’objectif est d’identifier ensemble les composants réutilisables, réparables ou à maintenir, ainsi que les matières pouvant être approvisionnées via des filières de recyclage.

Maximiser le réemploi et minimiser les déchets sont de vastes sujets pour lesquels il y a des opportunités très importantes. Prenons l’exemple de l’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM). Les aimants des IRM peuvent peser jusqu’à 8 tonnes pour les plus puissants, ce qui induit des contraintes de transport et de construction. Pour amener un site clinique à la pointe des performances diagnostiques, applicatives et environnementales, nous avons un programme de mise à niveau qui conserve l’aimant sur site et ne modifie que la structure qui l’entoure. Cela réduit considérablement l’empreinte environnementale en apportant les dernières des fonctionnalités cliniques grâce à une nouvelle électronique et de nouvelles technologies. Nous réalisons ces opérations directement sur le site d’utilisation pour éviter des contraintes logistiques et des coûts importants. C’est un modèle extrêmement intéressant. Nous cherchons à maximiser les opportunités de circularité sur les parties remplacées et à étendre ce modèle à d’autres produits.

3. Au niveau de la Direction de l’entreprise, des ambitions spécifiques sont-elles affichées pour l’économie circulaire ?

Absolument, en 2023 Peter Arduini, CEO de GE HealthCare, s’est engagé au nom de l’entreprise à des objectifs ambitieux de réduction de GES dans le cadre d’un programme SBTi.

La SBTi a pour vocation d’aider les entreprises à définir des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) basés sur la science. Adhérer à un programme SBTi signifie que l’entreprise s’engage à réduire ses émissions de GES de manière significative et mesurable, en suivant des méthodes validées par la SBTi.

GE HealthCare s’est engagé à :

  • une réduction des GES opérationnels de 42% d’ici 2030
  • une réduction des GES des produits scope 3 – supply chain – de 25% d’ici 2030
  • la neutralité carbone en 2050

Nous retrouvons ainsi au centre de la partie environnementale de notre bilan RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), les deux principaux leviers qui sont l’éco-conception et l’économie circulaire. Cette dernière est donc bien considérée par la direction comme un élément clé de notre politique environnementale.

Cependant, entre ce niveau stratégique et ce que notre équipe met en place dans le quotidien de l’entreprise, il y a une fonction de transfert qu’il nous faut inventer, ce que nous faisons chaque jour, poussé par le vent des attentes clients et l’arrivée de nouvelles réglementations comme la CSRD.

4. Quel chiffre d’affaires représentent vos activités liées à l’économie circulaire ?

ESG strategies are driving business growth, boosting revenue and leading to financial success by aligning economic goals with sustainable finance. esg, growth, revenue, finance, economic, financial.

Les règles pour considérer qu’un revenu relève de l’économie circulaire sont extrêmement complexes, notamment dans le cadre de la taxonomie européenne. Par exemple, concernant la vente de pièces détachées réparées ou un système de seconde main, même l’emballage doit respecter des contraintes circulaires. Il doit être constitué au minimum de 65% de produits recyclés, ou être issu d’une boucle d’économie circulaire.

En réalité, les règles sont tellement strictes, que des pratiques qui sembleraient naturelles dans le cadre de l’économie circulaire (maintenance, extension de vie des produits, seconde main, mises à jour d’équipements, etc…), ne répondent pas complètement aux critères établis. C’est la raison pour laquelle je ne peux vous donner un chiffre d’affaires officiel. En revanche, je peux assurer que ces revenus ne sont pas marginaux dans le revenu global de l’entreprise.

 

5. Quels sont les principaux leviers d’action circulaires pour vos produits ?

Notre stratégie passe par différents champs d’action :

  • Maximiser les opportunités offertes par l’économie circulaire : simplification des produits, réparabilité, extension de la vie des produits, mise à jour des produits, remise à niveau et revente, réemploi des pièces, valorisation des actions de recyclage.
  • Re-concevoir les composants qui ont de lourdes conséquences environnementales. Nous avons fortement investi ces deux dernières années pour mieux intégrer les analyses du cycle de vie ( ACVs) dans nos projets. Nous avons plusieurs études de cas en cours qui ont permis d’améliorer à la fois nos processus opérationnels et nos produits. Cela étant, nous avons encore du travail pour systématiser ces pratiques dans tous les processus de décision de l’entreprise. En particulier, il est impératif d’effectuer des évaluations de l’impact environnemental des produits, notamment par des ACV, en accord avec les définitions européennes des matériaux critiques.
  • Augmenter la durée de vie des produits. Nous avons plusieurs programmes pour étendre la vie des produits. Par exemple, nous utilisons le réemploi de pièces détachées d’équipements en phase de déclin pour assurer la maintenance des sites restant sur le marché. Nous avons également un programme de recherche pour prolonger la vie d’une pièce détachée réparée grâce à des techniques de maintenance opportuniste. Par ailleurs, nous suivons nos propres indicateurs pour évaluer la consommation de pièces détachées par système pour identifier des écarts potentiels. Cela implique un engagement fort de la part de nos ingénieurs dans la collecte et l’analyse de données de maintenance, et la création de diagnostics précis.
  • Simplifier et réutiliser les emballages de façon optimale. Nous travaillons à diminuer le pourcentage de déchets générés lors de la livraison de nos systèmes. Beaucoup trop d’emballages sont jetés après une seule utilisation.
  • Étendre notre écosystème vers le milieu hospitalier. Nous avons actuellement deux projets avec des hôpitaux français pour comprendre et améliorer l’impact environnemental des procédures cliniques réalisées dans le cadre d’un parcours de santé. Dans ces études, nous regardons l’impact de l’ensemble de l’écosystème clinique pour réaliser les procédures médicales, ce qui par nature va au-delà de l’impact de notre équipement uniquement.

6. Justement, quelle est l’importance de la gestion des données dans la mise en œuvre de ces stratégies circulaires ?

Les données sont clefs pour la mise en place de stratégies d’aide à la décision optimisant l’impact économique, environnemental et la préservation des ressources.

Nous disposons d’une grande quantité de données provenant de diverses sources. Ces données ne sont malheureusement pas toujours exhaustives ou suffisamment précises. Nous travaillons avec les équipes multifonctionnelles (R&D, Production, Service) pour déterminer les meilleures estimations dans le cas où les données directes sont incomplètes. Nous investissons actuellement dans la science des données pour nous aider à identifier les données critiques et pour affiner nos estimations.

Nous travaillons également avec nos fournisseurs pour assurer une cohérence dans les flux d’informations concernant l’impact environnemental des matériaux approvisionnés.

À terme, nous envisageons la création de jumeaux numériques (réplique virtuelle dynamique) de tout ou partie de l’entreprise. Cela serait une avancée majeure pour maîtriser les flux et leurs impacts environnementaux sur le long terme. De nombreuses informations sont déjà disponibles, et nous travaillons activement sur ce sujet.

Abstract image of glowing green data streams, representing technology, digital communication, and high-tech network connections.

7. Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?

Nous avons plusieurs équipes dédiées aux aspects environnementaux ; l’éco-conception, les achats responsables, l’amélioration des emballages et les équipes RSE. Cette organisation permet de concentrer les efforts et d’obtenir des résultats concrets. Cependant, une coordination importante est nécessaire pour garantir la cohérence. À terme, l’objectif est de définir des principes, des standards et des métriques afin que chaque équipe puisse intégrer les principes de durabilité de manière cohérente dans leurs actions. La circularité serait alors une composante de base des pratiques courantes, évitant la fragmentation des efforts et renforçant l’impact des actions.

D’autre part, bien que de nombreuses initiatives existent dans l’entreprise, la mise en place d’une pensée stratégique avec des ramifications dans l’ensemble des fonctions de l’entreprise est en cours. Nous avons la chance de participer à ce changement de paradigme et de pouvoir l’influencer.

 

8. Nous comprenons que les défis pour rendre les modèles économiques plus « circulaires » sont nombreux. Comment poursuivre cette transformation en profondeur ?

Grâce à de nombreuses ressources internes, nous exploitons de mieux en mieux nos déchets. Mais il faut aller plus loin et mieux les valoriser, car les externalités de notre activité sont souvent sous-estimées. Si nous avons progressé sur la gestion des flux des matières entrantes, la notion d’entreprise élargie, qui devrait englober le flux de matières sortantes, reste sous-exploitée.

Nous devons ainsi repenser notre approche, pour non seulement concevoir des systèmes en vue d’une stratégie circulaire, mais également nous interroger sur le cycle complet de nos matériaux. Bien que nous soyons capables de concevoir des produits recyclables, il existe encore un réel écart entre la théorie et la pratique. La question demeure : que devient réellement la matière générée par notre activité ? Pour avancer, il nous faut construire des collaborations significatives et travailler à une intégration plus efficace de la circularité dans nos processus.

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Robert HEIDSIECK

Directeur de l’économie circulaire chez GE HealthCare