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Mino Yamamoto : Défis et opportunités de l’Économie Circulaire dans le secteur de l’automobile [interview]

Nous avons eu un vrai plaisir à échanger sur les défis et opportunités liés à l’adoption de modèles circulaires dans le secteur de l’automobile avec Mino Yamamoto, Directrice Economie Circulaire chez Valeo. On vous raconte tout !

 

1. Quelle est la position de Valeo vis-à-vis de l’économie circulaire ?

L’innovation pour la mobilité de demain sera durable ou ne sera pas. C’est pourquoi à Valeo la décarbonation va main dans la main avec l’économie circulaire. Ainsi, nous prenons en compte tout le cycle de vie du produit en embarquant l’ensemble de notre chaîne de valeur pour une innovation durable.

Comme le rappelle notre CEO, « Depuis plus de 20 ans, nos choix en matière de technologies, de gouvernance, de gestion environnementale et sociale illustrent notre volonté de traiter les enjeux du développement durable dans leur globalité. »

Évidemment, la priorité du secteur automobile est de réduire les émissions CO2 et donc de décarboner la phase d’usage. Chez Valeo, 60% de nos ventes y contribuent déjà aujourd’hui grâce à l’électrification et la gestion thermique des batteries pour toutes les formes de mobilité routière. En 2021, nous avons lancé notre programme de décarbonation CAP 50. Valeo est en outre signataire de la campagne « Business Ambition for 1.5°C », qui rassemble les entreprises s’engageant pour la neutralité carbone à 2050 en utilisant le cadre strict du référentiel Science Based Targets initiative.

Mais nous allons plus loin. Avec notre programme d’économie circulaire, nous allons fermer la boucle en valorisant davantage les produits en fin de vie. Ici, nous avons un double enjeu : retenir la valeur du produit assemblé le plus longtemps possible et en dernier ressort, préserver au moins la valeur de ses matériaux grâce au recyclage. Nous avons donc lancé en 2023 un programme d’économie circulaire articulé autour de 4Rs. Et nous y allons “full speed” ! Nos 4R, c’est d’abord Robustifier, pour maximiser la pérennité du produit, puis c’est Réparer et Remanufacturer, pour remettre à neuf les produits en fin de vie; et enfin, c’est Recycler, à activer en dernier ressort pour retourner au matériau brut à réinjecter dans les nouveaux produits. Ces 4Rs ont été pensés pour valoriser notre cœur de métier : le produit. Notre mission circulaire est très claire : Prolonger la durée de vie du produit assemblé final aussi longtemps que possible pour conserver un maximum de sa valeur. Pour atteindre notre ambition de circularité, nous devons agir sur 3 leviers : Business, Conception & Opérations.

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2. Comment avez-vous évalué le « bon » modèle circulaire et donc le modèle économique qui en découle ?

Commençons par le Business. Les R du Repair et du Reman pour un après-vente durable. C’est déjà du concret qui permet d’agir dès aujourd’hui pour prolonger la durée de vie des produits actuellement en circulation.

Le Remanufacturing est au centre de notre stratégie circulaire car il permet de produire des pièces comme neuves, tout en utilisant des composants en fin de vie au lieu de matériaux neufs. C’est une économie en moyenne de 80 % de nouveaux matériaux.

D’ailleurs, nous avons déjà 40 ans d’expérience dans le remanufacturing de produits mécaniques tels que les alternateurs et les embrayages pour véhicules particuliers et poids lourds. Nous avons développé un programme “toutes marques” et nous nous appuyons sur notre implantation industrielle mondiale. Nous remanufacturons actuellement un million de produits par an et a l’ambition de doubler ce chiffre d’ici 2030, grâce :

  • À l’optimisation du portefeuille produits actuel, sous le leadership de notre centre mondial de compétence de remanufacturing à Czechowice (Pologne). Notre site Polonais multi-produits réunit les activités mécaniques et mécatroniques, de façon à massifier les flux, les compétences (démontage, nettoyage, réparation, assemblage, et test) et bien sûr les investissements.
  • À l’élargissement du portefeuille produit pour accompagner le développement de l’électronique embarquée et des systèmes d’aide à la conduite (ADAS) – avec notamment, le lancement de la première caméra frontale reconditionnée dans le monde. Ce succès est signé par notre laboratoire d’électronique circulaire de Nevers en France. Pour des questions de rentabilité, nous avons bien sûr sélectionné les cas d’intervention afin de systématiser et industrialiser les opérations de réparation.
  • Au développement de produits pour les nouvelles mobilités avec les moteurs et les batteries pour les flottes de vélos électriques, à commencer par les Vélibs parisiens
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3. Pouvez-vous nous donner quelques exemples pour illustrer la façon dont l’éco-conception imprègne au quotidien l’activité chez Valéo ?

Comme mentionné tout à l’heure, sur le plan Business, aujourd’hui nous remanufacturons 1 millions de pièces par an. D’ici 2030, nous allons doubler notre capacité. C’est le « low hanging fruit » avec un très fort impact à court terme. C’est un vrai travail d’équipe entre notre département « après-vente » en business développement et nos 3 Divisions opérationnelles.

Maintenant, passons aux enjeux liés à la Conception. Aujourd’hui, nous sommes à un tournant car les produits que nous mettons sur le marché seront ceux que nous devrons réutiliser, réparer, remanufacturer et recycler dans 10 ou 20 ans. Nous devons donc agir maintenant parce que l’économie circulaire commence dès la conception. 80 % de l’impact environnemental d’un produit est déterminé pendant la phase de design ! Ainsi, sur le volet éco-conception, nous mettons en place des directives et des indicateurs pour intégrer dès la conception de nos produits des principes favorisant la circularité de nos produits (démontabilité, réparabilité, remanufacturabilité, recyclabilité des matières et incorporation de matières issues du recyclage…). Nous travaillons à fixer des objectifs au niveau de la R&D et des Projets.

Pour finir parlons un peu des Opérations. Concernant nos sites industriels, nous cherchons à optimiser leur consommation en ressources via nos programmes dédiés à la préservation de l’eau et à la valorisation des déchets. Après, le recyclage c’est aussi construire le bon écosystème avec toute la chaîne de valeur pour assurer notre souveraineté sur certains matériaux sensibles. Aujourd’hui, nos déchets constituent une véritable mine urbaine que nous devons exploiter. C’est pour ça que Valeo est partie prenante du projet Magnolia pour le recyclage des aimants permanents. Celui-ci rassemble des collecteurs, des recycleurs et des fabricants de pièces pour mettre en place une première ligne pilote en France !

4. L’économie circulaire est-elle maintenant intégrée et appliquée par tous, ou est-ce encore un principe à la marge ?

Aujourd’hui, tout le monde a pris le virage de la décarbonation. L’économie circulaire, elle, n’en est qu’au tout début de son développement. On voit beaucoup d’initiatives prometteuses :

  • Des constructeurs ouvrent des unités dédiées à la gestion de l’économie circulaire, les cahiers des charges évoquent de plus en plus les notions de « démontabilité », « réparabilité » ou de « remanufacturing ».
  • Les garagistes sont eux aussi de plus en plus enclins à proposer des pièces issues de l’économie circulaire, comme remonté par le Baromètre PIEC Mobilians-Gipa de Mai 24

Mais il reste un grand travail pédagogique à mener pour que l’économie circulaire passe à l’échelle :

  • Eduquer les utilisateurs sur la qualité et les performances des produits « seconde vie » et lever les préjugés. Parce que le remanufacturing et la réparation sont de véritables processus industriels chez Valeo.
  • Communiquer et sensibiliser tous les acteurs de la filière. Aujourd’hui les acteurs privés sont conscients du besoin de la circularité de notre industrie. Toutefois, nous aurons besoin des gouvernements, des régulateurs et du secteur public pour mettre en place le cadre réglementaire nécessaire à l’accélération de l’économie circulaire. En France, une loi impose aux garagistes à proposer systématiquement une pièce issue de l’économie circulaire. Cela explique aussi la bonne dynamique autour de ces pratiques. Mais ce n’est que le début !

5. Quelle est votre stratégie pour augmenter les gisements en amont de vos usines de Remanufacturing ?

La collecte c’est le nerf de la guerre ! La machine circulaire ne tournera pas si on ne collecte pas les pièces en fin de vie à remanufacturer ! Pour développer le Reman, il faut passer à l’échelle d’au-dessus. Et ça, ça demande une collaboration entre le secteur privé et public :

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  • Parce que pour construire la bonne structure pour la collecte, il faut mettre des incitations à récupérer les pièces dans les centres de démantèlement de véhicules en fin de vie mais aussi dans les garages de façon systématique au-delà de l’échange standard.
  • Après, l’enjeu c’est de passer de l’échelle nationale à internationale. Et pour ça, il faut résoudre un problème très simple. Aujourd’hui, les pièces en fin de vie sont considérées comme des déchets et ne peuvent pas librement circuler et traverser les frontières. Ainsi, travaillons ensemble avec les régulateurs afin de revoir leur statut pour leur permettre de vivre de multiples vies !
  • Enfin, il ne faut pas oublier de booster la demande pour inciter les utilisateurs finaux. D’où l’importance d’éduquer.

D’ailleurs, si on regarde un peu plus loin, aujourd’hui, les consommateurs qui achètent un véhicule décarboné, donc électrique, recevaient des subventions. Demain, faisons de même pour les véhicules circulaires, qui sont équipés de pièces conçues circulaires, donc démontables et recyclables !

6. Quels sont les éléments clés à anticiper dans la Conception?

Les enjeux actuels, mais qui n’auront un impact que dans le futur, sont liés au design de nos produits, de telle sorte qu’ils favorisent leur circularité. L’implémentation de critères circulaires induit souvent des surcoûts, et donc des questions qui doivent trouver des réponses entre les acteurs de la filière : « Qui paie ? », « Comment on le valorise ? », « Quel modèle économique entre la première monte et l’après-vente ? ».

Une des clés consiste à adopter une approche qui prend en compte l’intégralité de la durée de vie du produit pour pouvoir pleinement valoriser ces approches circulaires, et donc nécessairement de trouver comment travailler tous ensemble (en interne et entre acteurs de la filière) en trouvant la bonne clé de répartition de la valeur sur tout le cycle de vie des produits.

Parce que concevoir circulaire c’est innover pour demain, avec une vraie expertise derrière.

7. Un mot de la fin ?

Pour conclure, la circularité dans l’industrie automobile et de la mobilité sont des enjeux sociétaux majeurs. Nous avons tous un rôle à jouer !

A Valeo, notre mission c’est d’étendre la durée de vie des produits assemblés finaux le plus longtemps possible pour en retenir la valeur. Tout d’abord en étendant la durée de vie des produits déjà en circulation en les réutilisant, en les réparant et en les remanufacturant. Parce que c’est apporter une solution “as good as new” à un coût abordable, sans compromis de qualité ni de performance pour l’utilisateur final et pour notre planète.

Puis soyons créatifs pour rendre nos futures générations de produits plus circulaires. Innovons, innovons, innovons ! Utilisons notre savoir-faire pour inventer des produits qui pourront avoir plusieurs vies.

Enfin, construisons la bonne infrastructure pour permettre à la machine circulaire de tourner. Travaillons main dans la main entre le secteur privé et public. Car il s’agit aussi de garantir notre souveraineté. Les produits en fin de vie et la matière recyclée brute seront les nerfs de la guerre.

Pour finir, c’est surtout un travail d’équipe. Ensemble, dans nos entreprises et dans notre vie privée, soyons toutes et tous les acteurs de cette transformation pour construire la mobilité durable de demain.

Mino Yamamoto

Directrice Circularité Groupe

Valeo